
En-Jeu(x)
présente
Tartuffe ou L’Hypocrite
Comédie en vers de Molière
Restauration en trois actes par Benoît Blampain
Création
Dramatis personæ
Mme Pernelle, Mère d’Orgon | Yann Le Houëzec
Elmire, Femme d’Orgon | Chloé Thébault
Dorine, Suivante | Beate Giffo-Schmitt
Damis, Fils d’Orgon | Justin Willett
Cléante, Beaufrère d’Orgon | Serge Macia
Flipote, Servante de Madame Pernelle | Annica Vieser
Orgon, Mari d’Elmire | Eric Dalhen
Tartuffe, faux Dévot | Yann Le Houëzec
Mise en scène | Benoît Blampain
Assistanat | Elisa Meylan-Meister
Lumières | Philippe Lachaise
La croix a été réalisée par Michel Voisard / VOIS-ART / inspiration métal
Tartuffe entre et c’est l’Enfer !
Une comédie en alexandrins dans une famille recomposée où le fanatisme s’est installé. On rit en invoquant le Ciel et la rigueur de mise sera démise.
Restaurée en trois actes, plus concise, la pièce va droit au but pour démasquer l’hypocrisie.
Dans un joyeux va-et-vient où l’on tâche à trousser ou détrousser, la famille virevolte. Au gré de litanies fallacieuses et de confessions mensongères.
Pas un mot qui ne soit de Molière !
Benoît Blampain
vendredi 14 mars 2025 à 20h COMPLET
samedi 15 mars 2025 à 20h COMPLET
dimanche 16 mars 2025 à 17h COMPLET
mardi 18 mars 2025 à 20h COMPLET
Orangerie du Château de Voltaire
Allée du Château 1
01210 Ferney-Voltaire
Billet 15€
Réduit chômeurs / étudiants 10€
Les soirs de spectacle billet sur place exclusivement en espèces

avec le soutien de la Ville de Ferney-Voltaire

Pour le plaisir d’en savoir plus ou pour préparer un peu la représentation à laquelle vous allez assister…
Vous trouverez ci-après quelques textes qui vous permettront d’en apprendre davantage sur nos projets, leur genèse, nos volontés, nos intentions…
À En-Jeu(x) le théâtre fait sens !
Recension égotique de mon approche du Tartuffe de Molière.
En 1976, j’ai 16 ans. Je veux faire du théâtre ! J’ai déjà alors quelque expérience puisque ma mère, enceinte de son premier enfant que je suis, jouait dans la troupe d’amateurs du village. Mon père était son partenaire. J’aime, que dis-je, j’adore lire… Je lis donc… Le Bourgeois gentilhomme. Je n’y comprends rien et trouve même cela très mauvais. Le temps fera les choses… Mais dans mon village natal tout perdu en sa campagne qui se désole et s’excuse… J’ai 16 ans, je monte Le Malade imaginaire avec une bande de potes et je joue Argan, bien sûr, car il est bien imaginaire ce malade…
J’entre dans une académie (appelée le « Conservatoire » de Namur) et mon premier rôle sera Valère dans le Tartuffe. Je découvre la pièce en cinq actes qui va me poursuivre et émailler mon parcours de spectateur, acteur et metteur en scène. La jolie jeune fille qui joue Mariane a peur de se faire contaminer par son partenaire gay. Elle tire sur sa manche pour dissimuler sa main qu’elle doit me donner afin que je ne touche pas sa peau. Ça commence fort…
Lors d’un voyage organisé à Paris par le professeur d’académie, je suis ébloui par Richard Fontana qui joue le rôle-titre du Tartuffe dans la mise en scène d’Antoine Vitez au Théâtre de la Porte Saint-Martin.
Voilà ce que je veux faire !!! Je suis jaloux de ne pas être sur scène avec Richard et de ne pas jouer Elmire. Je rencontrerai Richard plus tard, le temps fera les choses…
En 1979, élève au Conservatoire de Bruxelles, j’assiste au Tartuffe du Théâtre National de Belgique. J’ai le souvenir d’une version « portes qui claquent » dans une famille. Julien Roy, que j’admire (et que je dirigerai plus tard) joue Valère. Bernard Damien qui interprète Damis, m’a fait part ultérieurement des particularités et difficultés de son rôle : il est bien énervé en ce qui concerne le mariage de sa sœur, ce jeune freluquet de Damis ! Le metteur en scène n’était autre que Pierre Laroche que j’ai eu l’heur de mettre en scène dans La Princesse Maleine de Maurice Maeterlinck où il jouait Le Roi.
Ce Tartuffe belge m’a fait dire que je ne voulais pas faire ce théâtre-là… J’irai retrouver Vitez, et dussé-je l’attendre à la sortie du Conservatoire de Paris, trempé sous la pluie sans parapluie, je lui dirai que je veux jouer dans son Tartuffe… et surtout, travailler avec lui. Quelle affectation !
Je travaille le rôle de Tartuffe à Paris, au Studio 34 et ensuite à l’école du Quai de la Gare à Paris.
En 1980, Jean-Paul Roussillon monte à la Comédie Française un Tartuffe noir, cinglé par une bien-pensance critique. Jean-Luc Boutté / Tartuffe jette son faux ventre en face de Jean le Poulain qui joue Orgon. Je retrouve Richard Fontana en Valère et découvre Claude Mathieu en Mariane. Qui aurait songé que je rencontrerais Jean-Luc, Richard et Claude plus tard sur Marie Tudor de Victor Hugo ?
Je suis sélectionné à l’Ouvroir de théâtre qu’Antoine Vitez ouvre à Chaillot. Une chère amie (Désirée Olmi) et moi-même avons préparé les deux scènes Elmire / Tartuffe car la thématique choisie par Antoine est précisément Molière. Premier atelier à l’Ouvroir : Antoine fait une leçon de choses et nous restons sur le plateau tout du long, explorant diverses manières de jouer les scènes. Tragédie passionnée / Tartuffe image christique / Comedia dell’arte, Tartuffe ronfle devant Elmire… / Madeleine de Proust (Que fait là votre main ?) / Homosexualité patente de Tartuffe (Hommage à Planchon) / Le souvenir de Jouvet ou comment jouer la sincérité /… …Travail sur la question des alexandrins. Comment dire les alexandrins ? Prose ou vers ? Le vers, nom de Dieu ! Et le vers m’est resté (et je me permets un calembour) comme le ver dans la pomme !
J’ai aimé faire partager ma passion du Tartuffe à nombre d’apprentis comédiens, en Belgique, en France, en Suisse. J’ai monté la première scène de la pièce comme une comédie musicale, la métrique sublime le permet… J’ai fait travailler à l’envi Elmire / Tartuffe / Orgon et Valère / Mariane / Dorine… La recherche sur le vers a profondément marqué toutes mes tentatives.
Mais jamais, je n’ai abordé ce cinquième acte impossible ! L’idée d’un deus ex machina, despote éclairé omnipotent me déplaît souverrainement !
Saison 2004-05, je cours voir le Tartuffe que monte Philippe Sireuil au Théâtre National de Belgique nouvellement reconstruit. Vincent Mine joue Tartuffe et entre nu face à Elmire devant une salle qui éclate de rire. Le représentant du roi (L’Exempt) est une vidéo…
J’ai visionné quelques images magnifiques de la réalisation de Stéphane Braunschweig avec Claire Waution en Madame Pernelle et Clément Bresson en Tartuffe, e.a. Mais le vers n’y est pas… En fait, on veut toujours rendre naturel un effet d’écriture et c’est tout bonnement impossible. Mais le théâtre permet toutes les tentatives…
Comme l’Opéra, on chante, donc rien n’est naturel… (Je viens de visionner On purge bébé ! de Georges Feydeau mis en musique par Phlippe Boesmans à La Monnaie à Bruxelles. L’opéra donne à la pièce un surréalisme particulièrement saisissant.)
Donc, assumer cette artificialité du vers plutôt que d’essayer de la cacher… C’est Vitez qui en parlait…
J’ai assisté à une mise en scène du Tartuffe au Théâtre du Parc à Bruxelles (que j’affectionne tant, pour y avoir réalisé Pasteur de Sacha Guitry) que je veux oublier malgré l’aréopage de grands et magnifiques comédiens qui composait la distribution, Angelo Bison, Alexandre Von Sivers,…
À la fin du confinement, et de la nouvelle programmation anniversaire de Molière de la Comédie Française que je suis avec passion toujours, je découvre cette version du Tartuffe reconstituée en trois actes par Georges Forestier qui apporte donc les résolutions à toutes les questions que cette pièce magistrale me posait. Sauf que…
Je n’ai pas vu la mise en scène de mon compatriote Ivo Van Hove ; je n’ai vu à l’heure actuelle que quelques images vidéo.
Je suis dubitatif sur les vers (re)-composés scientifiquement par Georges Forestier. En effet, je les trouve explicatifs et romanesques. Ils justifient un Damis amoureux et je comprends bien ce qui est fait. Mais, si on va au bout de la « purgation », on trouve une pièce encore plus cinglante ! Dans ma restauration, je n’ai rien « ajouté », me suis contenté de couper et changer quelques mots plus appropriés à mon projet de reconstruction. Et voilà ce que ça donne :
Juste retour, Monsieur, des choses d’ici-bas.
Vous ne vouliez point croire, et l’on ne vous croit pas.
Je voudrais monter cette version avec En-Jeu(x) la troupe d’amateurs dont je m’occupe à Ferney-Voltaire en France.
*
Avant de créer cette restauration du Tartuffe, je monte En-Jeu(x) d’amours, une suite de deux pièces en un acte. La première s’intitule Histoire du vieux-temps, un acte en vers de Guy de Maupassant ; la seconde, Le Pain de ménage de Jules Renard, en prose.
Dans le cadre de mes lectures et préparations de ce diptyque, j’exhume des livres de ma bibliothèque et je lis, ou le cas échéant, relis, certains ouvrages. Dans cette occurence, je lis le troisième volume des Chroniques de Maupassant, vieille édition 10/18 qui date de 1980.
Dans un article sur Flaubert, je lis ces perles :
Nous sommes dans le passage consacré à Bouvard et Pécuchet, notes collationnées par Flaubert lui- même :
« C’est dommage que Molière ne sache pas écrire. »
Fénelon
« Molière est un infâme histrion. »
Bossuet
« La comédie de Molière nous instruit-elle des grands évènements du siècle de Louis XIV ? Nous dit-elle un mot des erreurs, des faiblesses ou des fautes du grand roi ? Nous parle-t-elle de la révocation de l’Édit de Nantes ? »
Scribe
Et Flaubert d’indiquer
Révocation de l’Édit de Nantes, 1685. Mort de Molière, 1673.
Comme tout ceci est misérable. Et moi qui me gausse de restaurer Molière !!! Au moins, je n’y ajoute pas de vers de mirliton !
Benoît Blampain, mai 2023.
Notes sur le texte
De la restauration / De la reconstruction / De la réédification
En fait, je constate que je ne «restitue» pas le Tartuffe de Molière mais bien que je le restaure, que je le reconstruis, que je le réédifie.
En restauration, les décors peints sont conservés. Ils sont nettoyés en conservation et retouchés aux endroits endommagés, généralement à minima, de manière à retrouver un bel aspect d’ensemble, et revernis pour les protéger dans le long terme.
En restitution, le décor peint est recopié à l’identique sur tout ou partie, en fonction de l’importance des dégâts; c’est à dire que sur la (ou les) partie(s) reprise(s), le processus est alors refait, des préparations en peintures au vernis final.
En art, la restauration désigne les interventions et traitements servant à rétablir un état historique donné. La restauration est l’action de remettre quelque chose ou quelqu’un dans un état satisfaisant. La réédification est l’action de réédifier, de reconstruire.
*
… aussi bien les gazetiers que les partisans et les adversaires de Molière -…- ,tous en parlent en 1664 et en 1665 comme d’une pièce complète et achevée.
Georges Forestier / Le Tartuffe en trois actes de 1664 / préface / Portaparole / pg 9
DORINE, à Orgon.
Juste retour, Monsieur, des choses d’ici-bas.
Vous ne vouliez point croire, et l’on ne vous croit pas.
C’est à cette réplique de Dorine que j’ai décidé d’arrêter ma restauration. En fait, j’aime cette brutalité, cette audace, ce moment suspendu où tout est dit et rien n’est clos.
Tout le principe de la foi chrétienne en est ébranlé. On y voit l’athéisme de Molière.
*
Ce en quoi consiste ma restauration :
Dans ma restauration/reconstruction/réédification
J’ai supprimé
– Tout ce qui a trait à Mariane et son amour contrarié pour Valère
– La présence de Mariane au premier acte
– Tout le deuxième acte
Le troisième acte de la pièce en 5 actes devient le deuxième acte de la mouture en trois actes.
Le quatrième acte devient le troisième et dernier acte de la mouture restaurée. Suppression de l’intervention de Mariane et ajout du retour de Madame Pernelle qu’on trouve dans le cinquième acte. Brutalement interrompu de manière «conclusive et définitive» par Dorine.
Au cinquième acte, la suppression concerne notamment Monsieur Loyal et L’Exempt.
Je n’ai pas supprimé les explications de Cléante sur les dévots, hypocrites ou imposteurs : Acte I, scène 5 fin de l’acte.
Je n’ai pas ajouté de vers nouveaux, réécrits «à la façon de Molière». Je ne le voulais tout simplement pas.
J’ai modifié quelques mots ça et là…
I,2
DORINE
Cent fois plus qu’il ne fait mère, fils, fille, et femme. 186
Cent fois plus qu’il ne fait Mère, Fils, Frère et Femme. 182
I,5
ORGON
Et je verrais mourir frère, enfants, mère et femme, 278
Et je verrais mourir Frère, Enfant, Mère et Femme, 268
II,6
ORGON
Femme, enfants et valets, déchaînés contre lui. 1120
Femme, Fils et Valets, déchaînés contre lui. 686
Formule récurrente utilisée par Molière et qui dans ces occurrences demandait des modifications minimales pour correspondre à la réalité de la famille : Orgon, Père de Damis et Mari d’Elmire / Damis, Fils d’Orgon, d’un premier lit / Elmire, jeune Femme, Épouse d’Orgon en deuxièmes noces et Belle-Mère de Damis / Cléante, Frère d’Elmire et Beaufrère d’Orgon / Madame Pernelle, Mère d’Orgon / Dorine, Suivante (donc faisant partie de la valetaille !) bien déchaînée contre Orgon.
II,7
ORGON
Un bon et franc ami, que pour Gendre je prends 1179
Un bon et franc Ami, qu’en Intime je prends, 741
L’utilisation de ce mot Intime me permet d’introduire une notion grivoise qui fait écho aux deux références suivantes :
L’École des Femmes
II,6
AGNÈS
Le petit chat est mort. 461
Et la possible relation homosexualisante entre Orgon et Tartuffe qui a pour référence la mise en scène de Planchon en 1964.
*
J’ai créé deux hémistiches pour la continuité de l’action.
I,5 toute fin de l’acte
ORGON
Laissons là ce discours. Je cours à mes affaires. 400
On pense à Argan dans Le Malade imaginaire !
« On dit faire ses affaires, aller à ses affaires, pour dire aller aux nécessités naturelles. » (Acad.)
II,3
ELMIRE
On tient que mon mari veut dégager sa foi,
Et vous donner sa fille : Est-il vrai ? dites-moi. 924
ELMIRE
On tient que mon mari veut dégager sa foi,
Et vous faire Héritier : Est-il vrai ? dites-moi. 502
Héritier : synérèse comme dans le vers 1176 de la version en 5 actes :
Je ne veux point avoir d’autre héritier que vous 1176
Ou dans la version en 3 actes :
Je ne veux point avoir d’autre héritier que vous 738
Et la réplique de Tartuffe en prend une plus grande signification :
TARTUFFE
Il m’en a dit deux mots : mais, Madame, à vrai dire,
Ce n’est pas le bonheur après quoi je soupire ;
*
Modifications de l’acte III
Il s’agit donc de l’ancien acte IV.
III, 4
J’ai supprimé quelques vers sibyllins d’Elmire
Aurais-je pris la chose ainsi qu’on m’a vu faire,
Si l’offre de ce cœur n’eût eu de quoi me plaire ?
Et, lorsque j’ai voulu moi-même vous forcer
À refuser l’hymen qu’on venait d’annoncer,
Qu’est-ce que cette instance a dû vous faire entendre,
Que l’intérêt qu’en vous on s’avise de prendre, 1435
Et l’ennui qu’on aurait que ce nœud qu’on résout
Vînt partager du moins un cœur que l’on veut tout ?
*
La scène 7 suit avec une petite modification de vocabulaire.
Scène 7
ELMIRE, ORGON.
ELMIRE
Quel est donc ce langage, et qu’est-ce qu’il veut dire ?
ORGON
Ma foi, je suis confus, et n’ai pas lieu de rire.
ELMIRE
Comment ?
ORGON
Je vois ma faute aux choses qu’il me dit,
Et la donation m’embarrasse l’esprit.
ELMIRE
La donation…
ORGON
Oui. C’est une affaire faite
Mais j’ai quelque autre chose encor qui m’inquiète.
ELMIRE
Et quoi ?
ORGON
Vous saurez tout. Mais voyons au plus tôt
Si certaine cassette est encore là-haut. 1100
Je laisse ici cette histoire de cassette qui ne sera pas «résolue». On peut supposer qu’Orgon a parlé imprudemment à Tartuffe de cette cassette qui recèle de l’or. Je pense à Harpagon, l’avare bien sûr et Argan, qui compte son argent au premier acte du Malade imaginaire.
Plus que le reste encore elle me désespère. 1101
Je vais chercher ce vers dans la scène I de l’acte V. 1576
Le vers 1101 me permet de glisser sur l’entrée de Madame Pernelle en respectant les rimes féminines. Pour être vraiment exact, je dois opter pour le singulier dans la réplique de Madame Pernelle.
MADAME PERNELLE
Qu’est-ce ? J’apprends ici de terribles mystères. 1642
MADAME PERNELLE
Qu’est-ce ? J’apprends ici un terrible mystère. 1102
Et je peux singulariser aussi la réponse d’Orgon.
ORGON
Ce sont des nouveautés dont mes yeux sont témoins, 1643
ORGON
C’est une nouveauté dont mes yeux sont témoins, 1103
Cela donne :
Scène 8
MADAME PERNELLE, ORGON, ELMIRE, CLÉANTE, DAMIS, DORINE.
MADAME PERNELLE
Qu’est-ce ? J’apprends ici un terrible mystère.
ORGON
C’est une nouveauté dont mes yeux sont témoins,
Et vous voyez le prix dont sont payés mes soins.
Je recueille, avec zèle, un Homme en sa misère,
Je le loge, et le tiens comme mon propre Frère ;
De bienfaits, chaque jour, il est par moi chargé,
Je lui donne mon or et tout le bien que j’ai ;
Et, dans le même temps, le Perfide, l’Infâme,
Tente le noir dessein de suborner ma Femme ; 1110
Et non content encor de ces lâches essais,
Il m’ose menacer de mes propres bienfaits,
Et veut, à ma ruine, user des avantages
Dont le viennent d’armer mes bontés trop peu sages ;
Me chasser de mes biens où je l’ai transféré,
Et me réduire au point d’où je l’ai retiré.
Je lui donne ma fille et tout le bien que j’ai ; 1108
À la place de «ma fille», je substitue «mon or» : ce qui justifie la «cassette» de la fin de la scène 8 qui précède avec Elmire…
Les énervements de Damis sont dus au fait qu’il souffre de son exhérédation, d’être déshérité et chassé de la maison paternelle au profit de Tartuffe. C’est le rejet de son père qui est le vrai objet de sa douleur.
*
Cette restauration «a minima» nous donne une version en trois actes plus ramassée, plus concise, vraiment centrée sur l’hypocrisie de Tartuffe et sur le fait qu’Orgon déshérite son fils.
*
Hypocrite (faire semblant, du grec hypókrisis): fourbe, dissimulé, faux, sournois, trompeur. Synonyme : comédien, jésuite, judas, déloyal.
Le sous-titre de la pièce en trois actes est donc L’Hypocrite et non L’Imposteur (qui lui, est le sous-titre de la pièce en cinq actes).
J’aime assez de voir que le mot hypocrite a pour synonyme comédien.
Benoît Blampain, août 2023
Molière spirituel !
Molière dramaturge libertin
Les recherches dramaturgiques autour de Molière et plus particulièrement du Tartuffe doivent leur substantifique moelle à l’essai de Antony McKenna auquel j’emprunte le sous-titre pour cette note d’intention.
Molière dramaturge libertin
Antony McKenna
Essais Champion classiques Éditions Honoré Champion
ISBN 9782745313157
Je me permets de le citer abondamment. Les citations sont en italiques.
Aussi, je conseille à qui le désire de le consulter comme une référence essentielle.
Cette somme de connaissance(s) propose une démarche neuve dans l’approche de l’œuvre de Molière. Les lignes forces que sont l’athéisme de Molière, sa critique, sa fustigation, sa stigmatisation de la religion chrétienne et par delà, de toute religion ou superstition, la mise en comédie dans une famille bourgeoise, métaphore du monde où le sophisme et le mensonge sont érigés en norme accentuent l’universalité du propos.
…, je soutiendrai la thèse que Molière est libertin… et je donnerai un sens précis et limité à ce terme : j’entendrai par là que Molière refuse la foi chrétienne, qu’il dénonce l’imposture dévote et qu’il propose une philosophie cohérente, un système de valeurs non seulement étranger au christianisme mais radicalement opposé à la doctrine de la Chute et de la rédemption. … cette philosophie anti-chrétienne, fondée sur un système cohérent de principes et de valeurs, constitue le véritable libertinage aux yeux de Molière.
… son théâtre est porteur d’une philosophie audacieuse, très hostile à la religion chrétienne.
… j’aurai l’ambition – et la prétention – de proposer quelques clefs du théâtre de Molière et de proposer un déchiffrage qui renverse la lecture traditionnelle de ses pièces et qui fait de lui un dramaturge libertin violemment anti-chrétien.
Les comédies comportent la dénonciation de la fausseté de la doctrine chrétienne, de l’imposture de l’Église, des théologiens et des ecclésiastiques, de la crédulité naïve des croyants,…
Pour info :
McKenna travaille sur le Tartuffe qu’il cite dans sa version en 5 actes, seul manuscrit réel et donc fiable que nous possédons.
Nous connaissons la pièce de Molière en 5 actes, celle qu’il a laissée à la postérité après remaniements et adoucissements pour déjouer la censure royale.
Une première version en trois actes, dont on ne possède pas le texte, avait été donnée, sous le titre Tartuffe ou L’Hypocrite, au château de Versailles, le 12 mai 1664, devant Louis XIV et une partie de la cour.
De 5 à 3 actes
La version que nous présentons découle
- Des recherches de Georges Forestier (Professeur de littérature et historien du théâtre français université Paris-Sorbonne, professeur émérite de littérature française à la faculté des lettres de Sorbonne Université, éditeur des œuvres complètes de Molière dans la Bibliothèque de la Pléiade, 1951-2024.) qui pointe l’historicité d’une pièce complète en 3 actes présentée à Versailles et qui en effectue une restitution que jouera la Comédie-Française en 2022 la saison du 400e anniversaire de la naissance de Molière.
-
La pièce en 3 actes correspond à un schéma classique de composition d’une comédie traditionnelle basée sur le principe de la comédie italienne : Tout un premier acte d’introduction, les différents personnages et les liens tissés entre eux ; un deuxième acte dans lequel se noue l’intrigue ; un troisième où elle se dénoue, la supercherie est mise à jour.
-
La restauration en 3 actes que j’ai opérée à partir de la pièce en 5 actes. Notre proposition est donc une version possible de ce que Molière a vraisemblablement présenté à son roi protecteur. Je n’ai retranché aux cinq actes que le strict nécessaire pour revenir à une intrigue bâtie sur un format traditionnel. J’ai fait œuvre de restauration comme on restaure un tableau. On est donc en présence d’une pièce vive qui va droit au but lavée des circonvolutions dont la pièce en 5 actes était porteuse, entre autre, le panégyrique du roi protecteur érigé en sauveur du monde.
La spiritualité de Molière
Dieu existe-t-il ? Existe-t-il des preuves de son existence ? Là n’est pas la question.
Molière est libertin, il refuse la foi chrétienne et par ce fait même toute foi quelle qu’elle soit. Molière est non seulement athée, mais il est anti-chrétien. Pour lui, toute religion est prosélyte par définition et donc tout le principe de la foi chrétienne est ébranlé. Ses comédies comportent la dénonciation de la fausseté de toute doctrine religieuse, de l’imposture des églises de toute nature, des théologiens et des ecclésiastiques, et de la crédulité naïve ou non, consentie ou consciente des croyants. Son théâtre est porteur d’une philosophie audacieuse et radicale hostile à toute religion.
Un libertin authentique : un incroyant dont le refus de toute doctrine s’appuie sur une réflexion philosophique et sur un système de valeurs et une spiritualité. Les interventions du Ciel ne sont que des effets de machinerie théâtrale. Le libertinage est le désir dont toute religion veut priver l’être humain.
Il dénonce la posture dévote, il dénonce l’imposture dévote.
… on les appelle libertins ; car c’est comme qui diroit apprenti(s) de l’atheisme.
Il faut donc être insensé pour croire au mystère, dont nous savons, nous les spectateurs, qu’il ne s’agit que d’une mystification qui découle d’une imposture divine…
McKenna cite L’Évangile selon Saint-Mathieu :
Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu y apporter la paix, mais l’épée.
Molière pousse le trait au plus loin : le croyant est prosélyte par nature. Dès qu’on croit, on devient automatiquement prosélyte. Cette assertion est le brûlot de Molière et c’est à cause de cette assertion que le roi couard a interdit les représentations publiques du Tartuffe en trois actes que Molière avait représenté à Versailles en 1664.
Leur prosélytisme est inévitable, le spectacle de la liberté d’autrui étant insupportable à ceux et celles qui y
ont renoncé.
Richard Malka, Après Dieu, Stock, ma nuit au musée
Cette collection est éditée avec le concours du Centre des monuments nationaux ! Il est plaisant de constater que Richard Malka s’adresse à Voltaire pendant sa nuit au Panthéon et que nous jouons Tartuffe au Château de Voltaire qui fait partie du Centre des monuments nationaux.
Molière est donc parfaitement conscient de la portée philosophique et religieuse des situations et des personnages qu’il crée et des formules qu’il leur prête, et il s’amuse à développer, en langage codé, une véritable machine de guerre contre le christianisme au cours de ses pièces.
Molière connaît son « Lucrèce » De Rerum Natura, qui prône la destruction de la religion qui mine le plaisir de la vie par la peur de la mort. Bannir la peur de la mort et proclamer qu’il n’y a pas de vie (ou de punition) après la mort, telle est l’essence même du théâtre de Molière !
Molière n’attaque pas que les fanatiques, il dénonce la religion qui, par son existence même, nourrit le fanatisme. Voltaire dit exactement la même chose dans sa tragédie Mahomet ou Le Fanatisme, qu’aucun homme de théâtre n’oserait monter par crainte de représailles allant jusqu’aux menaces de mort. Au vingt-et-unième siècle, nous en sommes encore là ! Ah, la mauvaise foi !
Tartuffe, c’est le « J’accuse » de Molière. « Mahomet, c’est Tartuffe les armes à la main » écrit Voltaire. La foi n’est jamais bonne !
Molière spirituel !
Theatrum mundi et mundus est fabula : représentation, paraître, faire-semblant, mensonge, masque, duperie, illusion : la fantasmagorie du monde de l’illusion…
Dans toutes les pièces qui portent sur l’imposture, nous voyons un « héros » tyrannique qui cherche à imposer sa volonté à ceux qui l’entourent : il cherche à satisfaire ses désirs et à exercer son pouvoir dans le champ d’activité sociale qui est le sien. … Tartuffe exploite le masque de la dévotion pour s’introduire chez Orgon, pour séduire sa femme et pour le déposséder de sa maison.
Tout le théâtre de Molière définit une distance et des éléments esthétiques qui servent le sens ou les sens ; une vision de l’homme et de la société, des relations sociales et politiques, des valeurs spirituelles et philosophiques. La structure dramatique et les exigences théâtrales sont porteuses de cohérence et de sens, fustigeant l’imposture sous toutes ses formes. L’omniprésence du thème du mensonge, de la duplicité, de la tromperie, de la fourberie (fourbum imperator), don du dieu glorificateur se conjugue avec l’imposture.
La mise en abîme, la distance, l’humour tout en ironie constituent une attaque violente contre le faux- semblant qui trompe les autres mais aussi par lequel on se trompe soi-même.
Le fanatisme n’a pas cessé de faire couler beaucoup d’encre. Moquons-nous de celui-ci ! Le rire, la farce, la vie sont plus forts que les pensées mortifères ! Nous avons ce luxe d’en rire avec distance ! N’oublions jamais que des gens en pleurent, que des gens en meurent chaque jour dans ce monde de fous !
Mon Dieu, délivre-nous de ceux qui ne savent pas rire de toi.
Richard Malka, Après Dieu, Stock, ma nuit au musée
L’humour, la grivoiserie, les gauloiseries sont des constantes dans le théâtre de Molière. Si nous sommes devant une comédie que l’on pourrait qualifier de bourgeoise (elle se passe dans une famille bourgeoise reconstituée), il ne faut jamais oublier que Molière connaissait la farce, la pratiquait, la jouait. Des jurons (Diantre, nom de Dieu,…) , des expressions vulgaires (forte en gueule), des jeux de mots douteux (l’habit entier – prononcer la liaison, Sus ), des motifs récurrents de la farce (Un bâton, un bâton,…), des allusions sexuelles (cachez ce sein, le sang qu’avait perdu Madame), ou scatologiques (Je cours à mes affaires – qui signifie aller aux nécessités naturelles), des expressions violentes (L’amour qui nous attache, armer mieux votre sein), mais aussi tout un vocabulaire à connotation religieuse (Dieu, croire – dans toute sa conjugaison, Ciel, Péché, Bienheureux,…), tout ce vocabulaire choisi assoit un corpus textuel lancinant, obnubilant, incantatoire, qui possède le fallacieux pouvoir de tourner les têtes.
La grivoiserie est une constante…
… accusation d’ « obscénité »…
…, les impertinences sont nombreuses sur le plan de la religion.
Le « Ciel » et « Dieu » sont hautement loués de leurs bienfaits… avant qu’on ne découvre qu’il s’agit d’une méprise.
… impertinences à l’égard du Ciel,…
L’art théâtral de Molière est très conscient de lui-même. Il dit bien effectivement ce qu’il veut dire !
… une véritable philosophie esthétique, une réflexion sur le faux-semblant, sur le jeu d’apparences qui est au cœur de la représentation théâtrale.
…Ce faux-semblant est désigné comme une imposture, si l’on entend ce terme au sens le plus large de faux- semblant par lequel on trompe les autres mais aussi par lequel on se trompe soi-même.
Il y a deux dévots dans la pièce : Tartuffe et Orgon. Ils sont tous deux fanatiques. Et c’est l’enfer !
Les théologiens pratiquent l’imposture, les uns de « bonne foi », les autres par cynisme. Le sophisme, mensonge prétendu vérité, use du double langage pour faire théâtre. La famille bourgeoise, métaphore du monde s’avère l’espace idéal universel. Tartuffe, l’imposteur, l’hypocrite et Orgon, sa dupe, qui n’est qu’illusion et superstition soufflent l’enfer dans la famille (donc sur le monde, sur tout l’univers !)
Tartuffe et sa dupe Orgon représentent les deux extrémités de l’imposture et de l’illusion, et celle-ci prend la forme de la crédulité superstitieuse ou « aveuglement » ; imposture et aveuglement, les deux termes reviennent constamment.
Les théologiens dénoncent l’incroyant comme un monstre (mécréant, brebis galeuse, goy,…) comme un assassin, un voleur, comme une brute libertine et brandissent la peur de l’enfer qui n’est qu’un leurre !
…ce n’est pas être libertin que de s’apercevoir de l’hypocrisie de Tartuffe : il faut avoir perdu le sens commun pour ne pas s’en apercevoir. Un tel degré d’aveuglement et de crédulité est réservé au « héros » comique, Orgon.
L’hypocrisie de Tartuffe est visible, bien visible et c’est être crétin que de ne pas la voir et ce n’est pas être libertin que de s’en apercevoir. Le nez au milieu du visage ne se voit-il pas au premier coup d’œil ! L’aveuglement et la cécité occultent le décalage entre l’être et le paraître.
…la nature de la « fausseté » de sa dévotion (de Tartuffe)
… décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait, entre le paraître et l’être ; l’imposture implique duperie, illusion, aveuglement,…
Tartuffe confond de façon blasphématoire… le plaisir humain et sensuel et la délectation de la grâce.
Le double sens de ses pièces, la leçon implicite, violemment anti-chrétienne, dévoile une stratégie rhétorique qui se fonde sur l’ironie et qui implique un lien de complicité entre auteur et lecteur/spectateur.
Molière… cultive le quiproquos suggestif.
Comme chez Tartuffe, c’est précisément dans l’emploi détourné de ces formules et de ces gestes qu’on doit chercher la nature – c’est-à-dire l’imposture, la fausseté de l’attitude affichée par le personnage : dévotion chez Tartuffe…
Ces formules ne sont … pour Tartuffe – que des formules … séduction, ruse, mensonge, philosophie, insolence, brutalité, hypocrisie, tous les moyens sont bons pour assurer le triomphe de son moi, pour posséder, pour dominer, pour tyranniser les autres.
Par libertinage, on entend grivoiserie, obscénité, blasphème alors que le libertinage est directement conséquent de ce qui meut l’être humain : le désir et le plaisir se conjuguant.
Du comédien
On me reproche d’avoir mis les termes de piété dans la bouche de mon Imposteur. Et pouvais-je m’en empêcher, pour bien représenter le caractère d’un hypocrite ? Il suffit, ce me semble, que je fasse connaître les motifs criminels qui lui font dire les choses…
Molière, préface du Tartuffe, éd 1669. Cité par McKenna
Il est plaisant de souligner que le sous-titre du Tartuffe, l’Hypocrite vient du grec hypókrisis qui signifie comédien.
Le comédien est donc un menteur, mais un menteur vrai puisque dans le contrat tacite passé avec le spectateur, celui-ci sait que celui-là ment., qu’il ne dit pas ses mots à lui, mais des mots appris par cœur. Dans ce cadre du théâtre le comédien ment tellement bien que l’on peut dire de lui qu’il ment vrai, qu’il dit vrai. Le comédien ne trompe pas puisque le spectateur sait qu’il ment. On en revient au « être ou n’être pas ». Et si Hamlet est un comédien, Tartuffe en est un lui aussi.
Dans notre version, Yann joue Tartuffe qui lui-même joue Madame Pernelle, le plus fanatique des tous les personnages. La boucle se boucle et le cercle est vicieux ou vicié , au choix.
Du mensonge
L’imposture consiste à croire et à faire croire des principes proférés avec dogmatisme, avec autorité, avec ostentation, avec componction. Ce mensonge, imposé comme une vérité vraie, ne peut être contesté puisqu’il est asséné avec une superbe, une maestria, une habileté telle qu’il ne souffre aucune contestation.
… le grand aveuglement, l’illusion et l’imposture consistent à croire – et à faire croire – les principes professés avec dogmatisme, avec autorité et avec ostentation,… la foi chrétienne…
La parole de l’homme est l’unique lien de toutes les sociétés civiles. Les menteurs ruinent la confiance et par elle ce qui nous fait vivre en communauté.
Le plus grand faible des hommes est l’amour qu’ils ont pour la vie et par conséquent la peur de la mort.
Cette peur les rend vulnérables devant les imposteurs.
Du désir
Il est une loi naturelle, c’est la loi du corps, c’est le désir. Le désir est la loi légitime de notre nature. C’est le plaisir donc, qui impose sa loi, qui se décline selon les tempéraments, selon la hiérarchie des âges. Le tempérament, c’est à dire le corps, se substitue à la Providence. La grande affaire de l’être humain sur la terre c’est le plaisir, le désir, la sensualité. La grande affaire, c’est la vie !
Le chrétien prêche la peur de la mort, la souffrance et la culpabilité qui est l’intranquilité d’esprit ! Le chrétien parle du Ciel, de la Grâce et d’un Dieu vengeur.
L’honnête homme
Séduction, mensonge, ruse, insolence, brutalité, hypocrisie, tous les moyens sont bons pour tyranniser les autres.
Molière propose une philosophie pour que l’être humain réalise son bonheur d’être en vie. Le désir, le plaisir sont les moteurs de toute vie. Et Molière propose que l’homme soit un honnête homme.
La définition de l’honnête homme se fonde sur une orientation philosophique précise.
Il est une loi naturelle, c’est la loi du corps, c’est le désir
les « doux empressements de cette mutuelle ardeur que le Ciel nous inspire » Le Malade imaginaire, I,4. Le désir est la loi légitime de notre nature…
« On n’a que son plaisir en ce monde » Le Médecin malgré lui, II,1
« La grande affaire est le plaisir » Monsieur de Pourceaugnac, III,8
Le plaisir sur quoi repose le bonheur, est l’absence de souffrance du corps et la tranquillité de l’esprit… Cette prud’homie est érigée … en véritable art de vivre : la prudence de l’honnête homme n’est pas un but en soi ; elle n’est que le moyen d’accéder au véritable plaisir, c’est-à-dire au véritable bonheur.
L’honnête homme « prend tout doucement les hommes comme ils sont » Le Misanthrope, I,1
Il refuse d’envisager la nature humaine comme « tombée en corruption », comme « entachée » par le péché.
L’honnêteté comporte donc un système de valeurs sociales fondées sur la tolérance. Ce sont des valeurs qui doivent être respectées pour que la vie sociale soit possible. Ainsi, l’honnête homme s’étonnera que les théologiens dénoncent l’incroyant comme un monstre, comme un assassin et un voleur, comme une brute libertine, comme si la peur de l’enfer était le seul frein qui empêchât le citoyen – et le chrétien – de céder à sas passions animales, comme s’il n’y avait pas d’excellentes raisons – sociales – de ne commettre ni meurtres ni vols, de ne pas séduire toutes les femmes en les abandonnant comme autant de « conquêtes » attestant la gloire du « libertin », bref de ne pas trahir la bonne foi des autres. Les valeurs de l’honnête homme sont sociales : ce sont celles de la civilité.
L’honnêteté est un art de plaire,… ,il faut une certaine hauteur d’âme et d’intelligence, un cœur droit et sincère.. et un bon tempérament entre deux extrêmes,… mais il faut aussi être acteur, car l’honnêteté est un art des apparences…
Elle implique une modération des passions, une éducation qui n’aboutit certainement pas à une ascèse…
C’est bien le chrétien qui est désigné comme un malade imaginaire, et l’honnête homme lui rétorque : Songez que les principes de votre vie sont en vous-même.
Ce qu’il en est du blasphème : le blasphème n’existe pas. C’est la personne qui croit qui est elle-même le blasphème car elle a inventé la possibilité du blasphème ! Donc elle n’existe pas, elle compte pour rien. Quand on croit, on est blasphème. !
Décor et costumes
C’est la configuration même de l’orangerie qui a guidé nos choix en terme d’espace de jeu. Nous avons opté pour un espace oblong de 10m d’ouverture sur une profondeur de seulement 2m. Une grande pièce de la maison familiale, une pièce où l’on passe, où l’on va et vient ; une longue table trône, comme un autel, possiblement de sacrifice, nappée d’un tapis blanc ajouré qui permet de voir dessous sans y voir réellement : pas de chaise, il y a des choses qu’on dit mais qui ne sont pas des vérités vraies, ainsi les chaises ne sont pas présentes physiquement, mais on en parle et ça suffit, tout Molière pourrait se jouer avec une table seulement… ; on sort à gauche du spectateur, jardin donc, vers l’extérieur de la maison, tandis qu’à droite, cour, on va vers l’intérieur du bâtiment : une croix croit croire croître en s’élançant au Ciel dès l’entrée de la maison, en métal brut, barre de danse, béquille ou calvaire, c’est selon, message de rigueur et d’obstination, symbole de torture, ses maigres bras étendus. Et rien d’autre, un dénuement tout ascétique qui appelle à la mortification.
La mort-tification est aussi à l’œuvre dans les costumes noirs, un camaïeu de noirs, avec de naïves touches blanches, pureté d’un mouchoir, d’un corsage ou d’un col pour égayer un tant soit peu la morbidité ambiante.
Si Tartuffe est bien habillé, c’est qu’il profite des largesses d’Orgon qui se dépouille pour lui. Orgon, écrasé par la main de Dieu, arbore une simple croix de bois. Tous les personnages sont tenus à vivre sans ostentation, contrairement à ce qui leur est reproché ; mais le fanatisme aveugle tant le fanatique que non seulement il ne voit plus plus les choses réelles mais croit voir des choses qui n’existent pas, comme des apparitions générées par son aveuglement.
Et l’alexandrin, nom de Dieu !
Le vers redoutable, diabolique ! L’alexandrin :
Avec ses 12 syllabes sonores, ses hémistiches et ses césures, ses bouts rimés dits féminins et masculins, ses « e » muets qui ne le sont plus et qu’on dit ou qu’on ne dit pas, quelquefois, ses diérèses, ses assonances et ses allitérations, ses liaisons ; cette armada de règles prosodiques redoutables et qui deviennent un jeu pour les actrices et acteurs.
Vouloir avec tous ces codes parler à nos contemporains, qu’ils les comprennent aisément ces douze cents vers mélopiques. Faire sens toujours pour que le propos soit évident, que le spectateur rie de nos facéties et de notre discours sur les travers du monde.
On ne peut que vous souhaiter un spectacle de jouissances et de réjouissances.
Benoît Blampain, février 2025.
Petit traité de diction de l’alexandrin
On n’a jamais parlé en alexandrins ! Mais le vers n’est pas de la prose.
Ce qu’ignore Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière !
II, 4
Maître de Philosophie : … Tout ce qui n’est point Prose, est Vers ; et tout ce qui n’est point Vers, est Prose.
Monsieur Jourdain : Et comme l’on parle, qu’est-ce donc que cela ?
Maître de Philosophie : De la Prose.
…
Monsieur Jourdain : Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la Prose, sans que j’en susse
rien ;…
On note ici la connotation grivoise par l’emploi du verbe susse…
Et le vers n’est pas une langue ou un langage !
Il s’agit d’un phénomène d’écriture, une règle, une codification caractérisée par une césure à l’hémistiche située au mitan du vers et qui pousse sa spécificité jusqu’au bout rimé !
Je demande à l’actrice / l’acteur d’être porteur de ce phénomène d’écriture, de l’intégrer dans son jeu, d’en être passeur auprès des spectateurs. Ceci ne signifie pas une sclérose du dire qui ne ferait la part belle qu’à la forme au détriment du sens. Tout est intrinsèque. C’est dans cet oxymore que tout réside : comment « dire » un texte aussi codifié et faire passer le sens et les émotions pour atteindre le spectateur.
*
Vous trouverez ci-après quelques notes sur la codification et les signes employés sur la brochure de travail des comédiens pour annoter cette même codification.
*
La prise d’air obligatoire au bout de chaque alexandrin !
L’alexandrin est une unité de respiration qui contient 12 syllabes sonores. (Abusivement, et même erronément, appelés « pieds ». Les pieds sont syllabiques, mais pas nécessairement sonores.)
À la fin du vers, une respiration, une prise d’air est obligatoire :
longue || si le sens du vers est complet ou fermé ;
courte ↩︎ si l’idée continue et se développe au vers suivant ;
voire très (très) courte ↩︎ ↩︎ si elle coupe le sens de l’idée.
*
L’enjambement
La prise d’air est TOUJOURS obligatoire au bout du vers même si l’idée émise se poursuit au vers suivant. Il ne faut donc jamais enchaîner les vers, il s’agirait alors d’un enjambement. L’enjambement ne fait pas partie de la prosodie du vers contrairement aux idées reçues. L’habitude de l’enjambement vient d’une volonté de prosaïser le vers.
*
Les alexandrins vont toujours par paire.
On ne dira jamais le «e» muet en fin de vers !
Les deux premiers sont munis de rimes dites féminines car elles se terminent par un «e» dit muet. Ce «e» allonge un tantinet la voyelle qui précède et lui donne l’aspect du genre féminin ; différence entre «un ami» et «une amie». À l’époque baroque, selon les études de prosodie et de musicologie récentes, ces «e» muets étaient sonores et l’on pouvait donc compter 13 syllabes sonores. Dans notre travail, il ne faut pas concrétiser ces «e» muets, ils résonnent simplement à l’instar d’une note qui, tapée au piano, a sa propre résonance. Ce «e» muet est désigné par ɇ
Allons, Flipote, allons ; que d’eux je me délivrɇ.
Vous marchez d’un tel pas, qu’on a peine à vous suivrɇ.
Les deux vers suivants sont garnis de rimes dites masculines, sans le «e» muet ; Ils se disent donc a secco, à sec, et se terminent nettement.
Laissez, ma Bru, laissez ; v ne venez pas plus loin :
Ce sont toutes façons v dont je n’ai pas besoin.
Le poème alterne deux rimes féminines et deux rimes masculines jusqu’à la fin sans discontinuité. Il y a donc un nombre pair de vers, ici 1152 vers au total ; 400 vers au premier acte, 346 au deuxième, 414 au troisième.
Des exceptions existent dans certaines tragédies où se trouvent des stances à la scansion particulière. Ce n’est pas le cas dans notre comédie.
Erreur ou effet de style, Molière lui-même nous glisse trois rimes féminines à la suite dans Sganarelle ou Le Cocu imaginaire, un acte qui compte donc 657 vers en tout.
Gorgibus :
Monsieur, que je revois en ces lieux de retour,
Brûlant des mêmes feux, et dont l’ardente amour
Verra que vous croyez la promesse accomplie 625
Qui vous donna l’espoir de l’hymen de Célie, 626
Très humble Serviteur à Votre Seigneurie. 627
*
Apnée obligatoire à la césure à l’hémistiche ! Et jamais de liaison à cet endroit !
À l’hémistiche, au milieu, donc après six syllabes sonores, se situe la césure v. Il s’agit d’un petit arrêt en «apnée», donc sans respiration, court ou long selon le sens, mais caractérisé par une élision de la liaison. Jamais, jamais de liaison à cet endroit du vers ! Elle se nomme césure à l’hémistiche !
Quelques exemples :
1
Laissez, ma Bru, laissez ;v ne venez pas plus loin :
La césure à l’hémistiche sépare ici deux unités sémantiques ; d’une part Laissez, ma Bru, laissez ; et d’autre part ne venez pas plus loin : La longueur de l’apnée est laissée à la discrétion de l’interprète.
2
Ce sont toutes façons v dont je n’ai pas besoin.
La césure à l’hémistiche sépare ici en deux une unité sémantique, une seule idée formant un tout : Ce sont toutes façons dont je n’ai pas besoin. L’apnée à la césure est marquée légèrement.
3
Et j’ai prédit cent fois v à mon Fils, votre Père,
À la césure à l’hémistiche, il n’y a jamais de liaison ; DONC, ici : pas de liaison en « z » entre fois et à.
4
Et que de me complaire, v on ne prend nul souci.
Le «e» final de complaire est muet. On pourrait être en présence d’une liaison possible entre complair… et on. La césure à l’hémistiche sépare les deux parties et la virgule , qui est vraisemblablement un ajout d’édition contemporaine, nous aide à marquer cette séparation sans liaison.
5
Qui me puisse obliger v à lui vouloir du bien.
Ici non plus, on ne fera pas la liaison en «r» entre obliger et à lui vouloir.
*
Toutes les liaisons se font !!! Hormis…
À l’époque baroque, toutes les liaisons étaient faites, bien sonores ( sauf aux césures à l’hémistiche !!!)
On distinguera trois liaisons différentes :
• Les liaisons nécessaires
Naturelle
Vous êtes : liaison en «z» entre les deux mots
peinɇ à vous suivre : le «e» de peine est muet, liaison en n entre peine et à, peina
un bon exemplɇ aux yeux : trois liaisons naturelles ; en «n» entre bon et exemple, on prononce bonnɇ ; le «e» final d’exemple est muet, liaison entre exemple et aux, …pl’au ; liaison en «z» entre aux et yeux … zyeu.
• Les liaisons qui font la part belle aux allitérations
Allitérations
…qu’on a peinɇ à vous suivrɇ.
Dans cet hémistiche, liaisons entre on et a puis entre peine et à ; allitération en na
Un peu trop fortɇ en gueulɇ,v et fort impertinentɇ :
Premier hémistiche : le «e» de forte est muet, liaison en «t» entre forte et en, …ten ; deuxième hémistiche : liaison en «t» entre fort et impertinente, … tin ;
Ces deux formes de liaisons créent une allitération en «t».
• Les liaisons étranges à l’oreille
Incongrues
1
De ce que l’on vous doit, v envers vous v on s’acquittɇ,.||
Toutes les liaisons doivent se faire entendre nettement. Un dilemme se pose ici à l’acteur : il doit faire la liaison en «z» entre vous et on et faire entendre en même temps l’inversion de schèmes : on s’aquitte envers vous.
2
On n’y respecte rien ; v chacun y parle haut,
La liaison en «n» entre chacun et y est assumée, mais discrète.
3
Et sans…|| Adieu, v ma Bru ; v je ne veux plus rien dirɇ.||
L’acteur doit faire ici la liaison en «z» entre sans et Adieu, liaison incongrue s’il en est car il y a un changement d’idée très nette. Allonger la voyelle nasale an et faire la liaison très discrètement, comme sans y toucher pour dire après le mot Adieu.
*
Pour en finir avec les «e» muets
Le «e» appelé muet est bien muet quand il est suivi d’une voyelle ; il est toujours sonore et donc prononcé nettement quand il est suivi d’une consonne.
1
Allons, Flipotɇ, v allons ; que d’eux v je me délivrɇ.||
Le «e» de Flipote est élidé car il est suivi d’une voyelle.
2
Mais, v ma Mère, v d’où vient v que vous sortez si vitɇ ?||
Le «e» final de Mère est prononcé distinctement car il est suivi d’une consonne. Un petit agacement peut justifier cette prononciation.
*
Synérèses et diérèses, qu’est-ce ?
Une diérèse est une double voyelle prononcée distinctement en deux syllabes :
Oui, v je sors de chez vous v fort mal édifiʌéɇ ; ||
Dans toutes mes leçons v j’y suis contrariʌéɇ ;||
Une synérèse est l’inverse exact, deux voyelles contiguës prononcées en une seule syllabe :
Que vous preniez tout l’air v d’un méchant Garnement, ↩︎
Et ne lui donneriez v jamais v que du tourment.||
Le niez de preniez se dit en une seule syllabe ainsi que le riez de donneriez.
*
Les inversions et les incises
Les ouvrages baroques regorgent d’inversions pour la réalisation d’un vers métriquement parfait. Le premier vers de la pièce en est un exemple parfait :
Allons, v Flipotɇ, v allons ; v que d’eux v je me délivrɇ.||
Nous sommes en présence d’une inversion dans que d’eux je me délivre.
Si nous remettons en ordre : que je me délivre d’eux.
L’acteur doit donc en être conscient et faire une petite apnée afin de faire comprendre le sens.
Ce premier vers contient aussi une incise. L’interpellation de Flipote entre deux impératifs est une incise. Le prénom est donc inclus dans la double injonction et doit être marqué par l’acteur.
*
Le vers coupé
Voici deux exemples de vers coupés : il s’agit de vers partagés entre deux ou plusieurs entreparleurs :
DORINE
Si… ↩︎
MADAME PERNELLE
Vous êtes, Mamiɇ, v une Fille Suivantɇ, ↩︎
Les mots doivent s’enchaîner pour former un seul vers.
Autre exemple plus complexe et qui demande une vraie dextérité aux comédiens :
ORGON, à Tartuffe.
Mon Frère,v c’en est trop.v ↩︎
À son fils.
Ton cœur ne se rend point,↩︎↩︎
Traître !↩︎
DAMIS
Quoi !v ses discours v vous séduiront au point… ↩︎ ↩︎
ORGON
Tais-toi,v pendard. ↩︎
À Tartuffe.
Mon Frèrɇ, v eh ! v levez-vous, v de grâcɇ.||
À son Fils.
Infâmɇ. ↩︎
DAMIS
Il peut… ↩︎ ↩︎
ORGON
Tais-toi.v ↩︎
DAMIS
J’enrage ! v Quoi, v je passɇ… ↩︎ ↩︎
Chaque vers doit se faire entendre comme une entité de respiration. Les comédiens doivent être attenifs à ce procédé.
*
Conclusion
Le vers est une simple codification typographique et poétique. C’est le vers, nom de dieu, et ce n’est pas de la prose. Je veux qu’on entende le vers, que ça ne pose pas de problème à l’oreille des auditeurs-spectateurs, et qu’il comprennent le sens véhiculé par le texte. Le vers ne doit pas être un problème ou un frein, il est vecteur de sens, il est conscient et il dit bien ce qu’il veut dire. Le vers n’est pas un hasard, il est une volonté du dramaturge, il est donc pris en charge par le comédien ou la comédienne qui lui retrouvent le sens syntaxique et se gardent de le réduire à une mélopée rythmique constante qui n’a de cesse d’ennuyer le spectateur. Mille cinq cents vers ânonnés à la suite ne font pas de sens si le sens n’est pas restitué par la parole de l’acteur. Le vers n’est pas ennuyeux, il exalte la pensée et l’étonnement qu’il procure éveille l’esprit. Le vers est au dire ce que la joie est à la musique…
Tartuffez bien !
Benoît Blampain, janvier 2025.
Une histoire avec Voltaire
Quand j’étais ado, je n’avais pas dans ma chambre un poster d’une star du rock, ou d’une bimbo dénudée un mois de calendrier, ou une vrombissante moto ou une rutilante auto de compétition. J’avais un longiligne portrait en pied du Diable de Ferney, ce sacré Voltaire.
Lors d’un de mes premiers séjours à Ferney chez mes amis Dalhen-Giarini, au retour d’une balade, je leur glissai dans l’oreille que j’avais repéré ce qui pourrait peut-être devenir un jour un théâtre. C’était le Châtelard…
… qui avait déjà connu par le passé, bien avant ma découverte et bien avant les aménagements, quelques représentations théâtrales, dans la poussière de la terre battue, où quelques aficionados s’en donnèrent à cœur joie afin de réveiller la terre voltairienne au plaisir du théâtre que le Patriarche aimait plus que tout et pratiquait à l’envi…
Ce plaisir de côtoyer Voltaire à Ferney se concrétise maintenant en ces représentations à l’Orangerie du Château où toute l’équipe d’En-Jeu(x) est reçue avec une amabilité et une attention remarquables.
S’inscrire humblement dans l’humanisme ambiant par une démarche artistique et humaine pleine de sens !
Benoît Blampain, février 2025