
REPRISE SUITE AU SUCCÈS
Le spectacle intitulé
En-Jeu(x) d’amours
est composé de deux pièces interprétées par les deux mêmes comédiens.
On commencera par
HISTOIRE DU VIEUX TEMPS (1874)
un acte en vers de Guy de Maupassant
avec
Le comte | Eric Dalhen
La marquise | Beate Giffo-Schmitt
ensuite on jouera
LE PAIN DE MÉNAGE (1898)
un acte en prose de Jules Renard
avec
Marthe | Beate Giffo-Schmitt
Pierre | Eric Dalhen
Mises en scène | Benoît Blampain
Lumières | Jean-Philippe Monteiro
Couture et habillage | Thalie Doucet
avec la complicité de Le Boudoir de Christelle, coiffure
vendredi 14 février 2025 à 20h
samedi 15 février 2025 à 20h
Orangerie du Château de Voltaire
Allée du Château 1
01210 Ferney-Voltaire
Billet 15€
Réduit chômeurs / étudiants 10€
Les soirs de spectacle billet sur place exclusivement en espèces
Pour des raisons de sécurité, les portes de l’enceinte du Château seront fermées dès le début du spectacle et il ne sera plus possible d’accéder à la salle. Prévoyez donc une marge pour bien arriver à l’heure.

avec le soutien de la Ville de Ferney-Voltaire


La grande affaire que l’amour !
Deux en-jeux pour un spectacle.
Deux pièces de théâtre. Deux comédiens, une femme, un homme.
Deux grands écrivains français : Guy de Maupassant (1850-1893) et Jules Renard (1864 -1910).
Des vers, de la prose.
Une soirée en deux temps.
L’amour, le mariage et son corollaire le divorce.
Le jeu, les jeux, les jeux d’amours.
On joue un jeu dangereux, on joue à se faire peur. Tels des duettistes, deux bretteurs d’amour, ils se provoquent dans un exercice de haute voltige, ils s’aiment, ils se piquent, en deux duels, deux
combats d’escrime aux fleurets effilés et dans fleuret il y a fleur !
Ils s’aiment, frémissements, fébrilité. Se retrouveront-ils ? Se passeront-ils à côté ? À côté de leurs amours. Dans un raffinement d’écritures, avec légèreté et humour, la marquise et le comte, Marthe et Pierre marivaudent dans un jeu cruel de naturalisme.
Deux moments de plaisir en une seule soirée !
Benoît Blampain

– Vous, les femmes, vous ne pensez qu’à ça !
– Et vous n’y pensez jamais, vous, les hommes !
Le Pain de ménage
Jules RENARD
Pour le plaisir d’en savoir plus ou pour préparer un peu la représentation à laquelle vous allez assister…
Vous trouverez ci-après quelques textes qui vous permettront d’en apprendre davantage sur nos projets, leur genèse, nos volontés, nos intentions…
À En-Jeu(x), le théâtre fait sens !
En-Jeu(x) d’Amours, la genèse…
Beate et Eric m’ont demandé de leur concocter un spectacle dans lequel ils joueraient ensemble avant de se lancer dans la grande aventure du Tartuffe…
Quoi de plus amusant, dès lors, que de leur faire jouer des amours impossibles sous le titre En-Jeu(x) d’amours.
En-Jeu(x) comme le nom de la compagnie ; d’amours parce qu’il s’agit de deux histoires d’amours pour ces deux comédiens qui joueront donc deux rôles dans deux pièces en un acte issues du répertoire naturaliste. Un duo duel, dans lequel ils s’affrontent tels des bretteurs qui s’escriment à coup de piques…
*
Une pièce de jeunesse de Maupassant, écrite en vers, comme on en commettait encore à l’époque, une bluette mélo, cousue de fil blanc mais qui contient en quelques pages tout l’art du conteur qui fera les beaux succès de l’auteur normand.
Des vers chevillés, non du vers-librisme, mais de vrais alexandrins aux douze syllabes sonores, aux césures à l’hémistiche, aux diérèses affirmées viennent turlupiner le « naturalisme » et l’empêcher de s’épanouir pleinement.
*
Petit exemple de vers chevillés :
La marquise
Quand un parfum de chasse apporté par le vent ↩︎↩︎
Le frappe, un éclair brille en sa vieille prunelle.
Ou bien :
Le comte
Et l’on se dispersait, selon notre coutume,
Quand un soldat soudain, un Bleu, qui, je présume,
S’était, grâce aux buissons, avancé jusqu’à nous,
Sauta dans le chemin et me tira deux coups↩︎↩︎
De pistolet. J’ouvris la tête de ce drôle;
Ou, avec les diérèses :
La marquise
J’ai mis mon cœur à nu, découvrez-moi le vôtre
Maintenant.
Le comte
Ainsi, c’est une confessi^on ?
La marquise
Et vous n’obtiendrez pas mon absoluti^on
Si vous raillez encore, méchant homme insensible.
*
J’ai eu l’opportunité de créer en Belgique La Paix du ménage, une autre pièce de Maupassant, amusante analogie avec le titre de Jules Renard : Le Pain de ménage.
J’aime ces répertoires perdus, ces archipels à la dérive, qu’on ne joue plus ou guère ou peu ou prou. J’aime en inciter la résonance contemporaine.
*
Et cette deuxième pièce qui compose la soirée, cet acte en prose du père de Poil de carotte, Jules Renard qui étale au jour (à la tombée du jour, plus exactement) son idylle pour une femme au destin singulier, Rosemonde Gérard, comédienne, autrice d’un théâtre aujourd’hui oublié, mais en vogue à l’époque, qui a commis quelques piécettes avec l’aide parfois de son rejeton, épouse d’Edmond Rostand qui triomphe avec Cyrano de Bergerac alors que son rival lui, pétrit un Pain de ménage tout en allusions.
J’avais vu ce lever de rideau dans une soirée dite coupée à La Comédie Française suivie d’une Andromaque. Cette réalisation s’interrogeait à juste titre sur le naturalisme au théâtre, comment le représenter ?
Cette pièce mondaine mêle la légèreté de la comédie de verbe et l’insolence tragique du marivaudage ! Un naturalisme singulier comme quoi tous les naturalismes ne se ressemblent pas !
« Le père » du naturalisme, Flaubert, a réalisé l’exploit de trouver un naturalisme qui correspond à chacune de ses œuvres. Le naturalisme de Madame Bovary n’est pas le même que celui de Salammbô ou celui de Bouvard et Pécuchet.
La naturalisme est multiple ! Le volume Les Soirées de Médan, recueil autour du saint patron Émile Zola, invite six auteurs naturalistes à écrire un conte sur le thème de la guerre. Zola, Maupassant et d’autres auteurs se sont pliés au jeu et ont proposé des contes de natures très différentes. C’est à cette occasion que Maupassant publie son célèbre Boule de suif !
L’écriture de Jules Renard tout en élisions crée un dialogue tendu de sous-entendus ! Tout n’est pas expliqué mais l’ironie remplit les silences d’une partition subtile, enjouée, aux non-dits nombreux mais tout en suggestion.
Créé le 14 février 2024, à la Saint-Valentin, revoici ce spectacle donc, un an plus tard, dans toute sa splendeur légère et sensuelle.
Benoît Blampain, janvier 2025.
Les choix de mise en scène
On pourrait croire qu’il n’y a pas de mise en scène tant les comédiens bougent peu. C’est bien évidemment un choix.
Dans notre monde policé et socialisé du mariage et de l’adultère, les protagonistes sont coincés dans un carcan sociétal dû à l’institution du mariage !
Dans Histoire du vieux temps, les comédiens exécutent un parcours circulaire en sens inverse des aiguilles d’une montre. Ils remontent le temps, il le déroulent à l’envers pour voyager dans le passé à travers leurs souvenirs qu’ils vont se raconter. Il s’agit d’un carrousel comme une boîte à musique et les personnages se poursuivent et bougent avant de s’écouter.
Et dans Le Pain de ménage, ils sont l’un en face de l’autre et ne se touchent jamais, alors que tout désir porte à croire qu’ils pourraient non seulement se toucher, mais s’enlacer, se baiser. Marthe est dos au public pendant la première partie, ce qui signifie qu’elle ne veut pas lâcher le jeu supposément déjà commencé avant le début de la pièce. Quant à lui, Pierre est toujours de côté par rapport au public, mais surtout il se pose face à elle. On reste toujours debout, prêt à s’en aller, le cas échéant. À un moment, un peu avant le milieu, il y a une charnière étrange et subite. Elle sort soudain. Et quand elle revient, le jeu peut recommencer et c’est elle qui décide. Alors elle se retourne vers lui car elle s’ouvre, comme un offertoire, à lui justement. Les choses pourraient devenir possibles.
Le statisme ambiant permet l’éclosion du texte et le combat d’escrime verbal(e) s’en trouve privilégié.
Les comédiens se placent concrètement l’un face à l’autre pour être de vrais entre-parleurs. En conséquence de quoi, il y en a toujours un qui est dos au spectateur.
Au théâtre, certains sophismes ont la dent dure : jouer en ouverture, ce qui signifie que le comédien tourne son corps pour être bien vu par tous les spectateurs, comme une espèce de bienséance. Pourquoi faudrait-il que l’acteur soit bienséant ? Et poli. (On ne tourne pas la dos à son interlocuteur!) Et bien au théâtre c’est possible !
Un autre sophisme : on ne joue pas dos au public ! Et pourquoi pas ? Le théâtre n’est-il pas l’endroit de tous les possibles ? Dans les deux pièces qui nous occupent, les personnages ratent leurs rencontres véritables, ces rencontres n’arrivent pas à se réaliser. Dans la mise en scène, les personnages ne se touchent jamais. Et le jeu de dos joue le jeu de ces non-rencontres.
Quand il est dos au public, le comédien ou la comédienne doivent déployer et décupler une force de jeu singulière. Le spectateur est étonné de cette posture car elle semble « anti-théâtrale », mais cette singularité la rend à dire vrai éminemment théâtrale. Elle interroge. Que montrer, que ne pas montrer, que dévoiler ?
Le spectateur a l’œil attiré par la posture physique du comédien. Dès lors, il s’associe physiquement au comédien puisque le spectateur regarde dans la même direction que le comédien. Il y a un effet mimétique inconscient.
Il s’agit, bien sûr d’un faux immobilisme ! Pourquoi devraient-ils faire les pieds au mur ? Pour animer le plateau, pour distraire, pour divertir ? Il s’agit d’un immobilisme vivant. Il y a une sensualité dans cet immobilisme, et sans gesticulation superfétatoire, le désir des corps peut s’épanouir en pleine sensualité. Ce n’est pas du vide, ce n’est pas du blanc, ce n’est pas rien. Ne pas avoir peur du silence qui est l’exact contrepoint de la parole, des sons. Ce qui nous concerne ici : le texte et sa polysémie kaléidoscopique.
Gros, gros travail de rythmique du texte : de longs silences ou des répliques au tac au tac, des ralentis ou des accélérations, tout concourt à mettre en valeur l’écriture singulière de chaque auteur. Les alexandrins hybrides et savoureusement maladroits quelquefois de Maupassant et le verbe de Jules Renard qui se fait chair dans ses ellipses deviennent les véhicules de la sensualité des corps dans les deux pièces. On s’aime par la bouche, les corps prononcent les mots du désir, les corps n’en peuvent mais et le tragique du marivaudage apparaît dans l’impossibilité même.
Cette sobriété se retrouve dans le décor, intérieur et extérieur à la fois ; planté dans l’Orangerie du Château, on voit au loin à travers la verrière, le vrai paysage extérieur ; sur scène, deux panneaux délimitent les deux espaces des protagonistes ; un papier peint représente des arbres, extérieur factice en intérieur ; le mobilier de jardin d’hiver ou de terrasse jamais touché ou à peine. Ce va et vient entre intérieur et extérieur qui se joue de toute réalité, de tout réalisme, mais qui évoque, tel une composition à la Vallotton, le naturalisme stylisé, comme un paysage figé, éploré. Tout a volonté de faire sens… Peu, mais voulu, rien n’est laissé au hasard…
Les costumes ont un relent d’époque : le goût douteux d’une aristocratie vieillissante restée en 1830 et l’élégance tapageuse, mondaine mais de pacotille d’un siècle finissant.
Pourquoi monter ces deux petites pièces désuettes ?
C’est le propre des grands textes universels que de charrier des thèmes humains qui résonnent en écho. Quoi de plus universel qu’une relation amoureuse qui ne se concrétise pas, que le dilemme sur l’adultère et ses corolaires : la fidélité et la jalousie. Toutes pensées qui taraudent, tarabustent l’être humain, tout être humain. Les problématiques autour de la fidélité dans le couple sont encore existantes même si le divorce est bien acquis dans les mœurs car légiféré. La liberté de chacun dans un couple a encore la vie dure. La fidélité reste la grande question. Qu’est-ce qu’être fidèle ? Jusqu’où reste-t-on fidèle ? Tout dépend bien sûr du contrat passé entre les protagonistes, tacite ou écrit. Mais cette question de la fidélité reste centrale dans toute relation de couple ! Il n’y a pas de réponse définitive…
Comment vous croire mien et fidèle ?
Antoine et Cléopâtre, I, 3
Skakespeare / édition de Jean-Michel Déprats / Gallimard / La Pléiade
La crise provoquée par le concept de fidélité au sein du couple est encore bien criante dans notre société. Qui appartient à qui ? Qui a le droit de posséder son conjoint ? Question lancinante qui soulève une autre question, quelqu’un peut-il appartenir à quelqu’un d’autre, fut-ce son conjoint ? Parler de la jalousie qui ronge… Ma femme, mon mari, ma moitié sont expressions récurentes…
Le spectacle met en scène un jeu dit dangereux. Ils se désirent, mais, coincés dans une armada de règles sociétales, il ne pourront assouvir ce désir…
Les pièces nues, passées simplement comme des archipels à la dérive parlent aux contemporains : quel être humain n’est pas passé à côté de son amour, de l’amour de sa vie…
Benoît Blampain, février 2024
L’Alexandrin au XIXe siècle.
Un peu de prose pour introduire une présentation de la prosodie de l’alexandrin au temps du naturalisme :
Pierre
Je vous donne ma parole que quelquefois j’ai de fichus moments. Je rage tout seul. Pour me calmer, j’ouvre un livre de vers. Je me crie des vers à tue-tête, et je me gonfle de lyrisme, jusque-là, jusqu’aux yeux.
Marthe
Et cela vous calme ?
Pïerre
Toujours. Aucune pensée ne résiste à un beau vers.
Marthe
Vous n’êtes pas difficile à soigner.
Le Pain de ménage / Jules Renard
*
Lors de Livres en Lumières 2024, nous avons assisté à une conférence-spectacle intitulée Voltaire en scène organisée par la Médiathèque Le Châtelard et l’association Voltaire à Ferney à l’orangerie du Château de Voltaire. Le conférencier, Monsieur François Jacob, professeur à l’université Jean Moulin-Lyon 3, a fait remarquer, à juste titre, que l’on ne travaillait plus le vers dans les cours d’art dramatique. Il a effectivement et malheureusement raison. Le travail du vers permet aux comédiens d’assouplir leur manière de dire en les confrontant à un langage qui n’est que codifications ; nul n’a jamais parlé en vers ! Le vers n’est pas une langue… Aussi, il n’est pas comme on parle dans la vie… Il apparaît désuet et psalmodique, voire ennuyeux car incompréhensible…
Il s’avère qu’à En-Jeu(x) nous travaillons les alexandrins, et nous aimons ça, et qui plus est, des vers écrits à des périodes très différentes, ce qui influe sur la manière de dire. Nous travaillons (et oui, le vers ça se travaille) depuis plusieurs mois, Tartuffe ou L’Hypocrite, de Molière, la version que votre serviteur a restauré en trois actes et destiné à la création à Ferney-Voltaire comme un présent en forme de clin d’œil au Diable dramaturge !
Il s’agit là de vers baroques que vous pourrez entendre dans peu de temps (rdv à la page Tartuffe ou L’Hypocrite sur ce site, ce qui vous permettra d’en savoir plus et même d’acheter vos places). La prosodie usitée pour dire ce vers baroque n’évoluera pas pendant les XVIIe et XVIIIe siècles. On dira donc Voltaire comme on disait Molière… Mais le XIXe siècle apportera du neuf !
*
Quand Maupassant commence à écrire, il veut réussir dans le théâtre, il écrit donc un acte… en vers (362 exactement) ce qui est dans la norme.
L’alexandrin chez Maupassant n’est pas tout à fait de même structure que l’alexandrin baroque et donc la prosodie qui le sous-tend est sensiblement différente. La manière de dire le vers influe directement sur le jeu du comédien.
*
Commençons néanmoins par les similitudes.
Similitudes
Il ne s’agit pas de vers-librisme, vers au comptage libre, sans rimes, mais vraiment d’alexandrins. L’alexandrin est une unité de respiration dite naturelle qui contient douze syllabes sonores ; d’où respiration obligatoire en fin de vers, en fin de ligne.
Les alexandrins sont rimés : deux rimes dites « féminines » se terminent par un e muet, en alternance avec deux rimes dites « masculines » sans e muet, et qui se disent a secco ; et cela jusqu’à la fin de l’œuvre, lui donnant donc un nombre pair de vers.
Un hémistiche de six syllabes sonores coupe le vers au mitan ou milieu, le vers compte donc deux hémistiches. Il y a à cet endroit une césure caractérisée par une apnée dont la durée, laissée au libre arbitre de l’acteur, aide à la compréhension du sens mais qui ne permet aucune liaison.
Dans le vers baroque, toutes les autres liaisons, même les plus incongrues se font de manière nette et sonore.
On trouve dans le poème dramatique baroque des vers coupés parce qu’ils sont partagés entre deux ou plusieurs entre-parleurs.
TARTUFFE
Orgon, à Tartuffe.
Mon Frère, c’en est trop.
À son fils. Ton cœur ne se rend point,
Traître !
Damis
Quoi ! ses discours vous séduiront au point…
Orgon
Tais-toi, pendard.
À Tartuffe. Mon Frère, eh ! levez-vous, de grâce.
À son Fils.
Infâme.
Damis
Il peut…
Orgon
Tais-toi.
Damis
J’enrage ! Quoi, je passe…
HISTOIRE DU VIEUX TEMPS
Le comte
Bonsoir, marquise.
La marquise
Enfin, cher comte, vous voici.
*
Une assez belle étrangeté réside dans la diérèse, une voyelle double distinctement doublée et qui compte donc pour deux syllabes sonores.
TARTUFFE
Tartuffe
Selon divers besoins, il est une Sci^ence,
D’étendre les li^ens de notre consci^ence,
Et de rectifi^er le mal de l’acti^on
Avec la pureté de notre intenti^on.
HISTOIRE DU VIEUX TEMPS
La marquise
J’ai mis mon cœur à nu, découvrez-moi le vôtre
Maintenant.
Le comte, souriant.
Ainsi, c’est une confessi^on ?
La marquise
Et vous n’obtiendrez pas mon absoluti^on
Si vous raillez encor, méchant homme insensible.
*
Différences
Une des principales différences de prosodie concerne les liaisons non naturelles ou incongrues qui sont évitées afin de se rapprocher d’une manière de dire plus prosaïque, plus proche du parler quotidien. Ceci est exécuté, bien entendu, en totale contradiction avec la structure métrée du vers.
HISTOIRE DU VIEUX TEMPS
La marquise
Venez,v auprès du feu nous allons nous asseoir
Pas de liaison en z entre venez et auprès ; il y a d’ailleurs une virgule, signe de ponctuation précisé par l’auteur. Liaisons naturelles en z entre nous et allons et entre nous et asseoir.
Le comte
En galant chevalier je me penchai versvelle,
Pas de liaison en z entre vers et elle ; si cette liaison était faite, elle donnerait un côté étrangement prétentieux à la phrase ; néanmoins, elle serait possible à cause de l’aspect aristocratique décadent du personnage ; le choix est ici de ne pas la faire et de privilégier un effet de parlando assumé par le comédien.
Dans le vers baroque, toutes les liaisons sont faites, même les plus incongrues :
TARTUFFE
Madame Pernelle
Allez chercher vos Fous qui vous donnent à rire ;
Et sans… Adieu, ma Bru ; je ne veux plus rien dire.
La liaison entre sans et Adieu doit se faire. Elle est dite incongrue car pas naturelle.
*
Dans l’écriture du vers au XIXe siècle, l’auteur cherche à tout prix le bout rimé quitte à forcer la structure de la phrase, la coupure obligatoire ou l’enjambement du sens,… Ce phénomène provoque dès lors une singulière manière du dire.
HISTOIRE DU VIEUX TEMPS
Le comte
Bonsoir, marquise.
La marquise
Enfin, cher comte, vous voici.
Vous pensez donc toujours aux vieux amis, – merci.
Le merci en fin de vers complète le nombre de syllabes sonores pour en obtenir douze.
La marquise
Quatre mois en prison pour cela ! C’eût été↩︎↩︎
Dame de haute race et de grande beauté,
La coupure, reprise de respiration après C’eût été permet à l’auteur de faire rimer les deux vers.
Le comte
Ses flatteurs attitrés, les faiseurs de sonnets,↩︎
Lui versant tout le jour, comme des robinets,
L’emploi du mot robinets est assez étrange, mais il rime avec sonnets…
Le comte
Non qu’il soit jeune, non qu’il soit beau, non qu’il ait↩︎↩︎
De grandes qualités… rien ; mais cet homme plait
Encore un exemple d’une coupure singulière après qu’il ait puisque l’objet direct suit au vers suivant…
Ce phénomène induit une manière du dire assez étrange que le comédien doit justifier par son intention de jeu.
Le comte
Ah ! je fis tout d’abord contenance assez sotte ;
Mais j’étais, en ce temps, quelque peu Don Quichotte,
Pour rimer avec sotte, Maupassant appelle à la rescousse Don Quichotte… Les vers sont dits alors chevillés, comme tirés par les cheveux.
Le comte
Quand un soldat soudain, un Bleu, qui, je présume,
S’était, grâce aux buissons, avancé jusqu’à nous,
Sauta dans le chemin et me tira deux coups↩︎↩︎
De pistolet. J’ouvris la tête de ce drôle ;
Voici un exemple de vers bien chevillés coup rime donc avec nous, mais comme il s’agit de deux coups de pistolet, la prosodie exige du comédien une dextérité pour créer comme un hoquet à la respiration de fin de vers.
*
Les vers normands : il s’agit de vers à la graphie identique mais à la prononciation différente :
Le comte
Je ne sais ; mais, alors que je repris mes sens,
J’étais dans un bon lit bien chaud ; de braves gens,
Le comédien prononce le s du mot sens mais pas le s du mot gens.
*
De plus, on décèle l’art du conteur qui pointe son nez dans la rédaction ; les personnages s’invitent à raconter des histoires, des historiettes, des contes en somme, qui émaillent la pièce, l’un raconte tandis que l’autre écoute son interlocuteur.
Dans l’exemple suivant, la marquise dit une fable de La Fontaine que Maupassant reversifie.
LE RENARD ET LES RAISINS
Certain renard gascon, d’autres disent normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. »
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?
Jean de La Fontaine, Fables, Livre III, 11
Voici la version de Maupassant :
La marquise
Un vieux Renard perclus, mais de chair fraîche avide,
Rôdait, certaine nuit, triste et le ventre vide ;
Il allait, ruminant ses festins d’autrefois,
La poulette surprise un soir au coin d’un bois,
Et le souple lapin qu’on prenait à la course.
L’âge, de ces douceurs, avait tari la source ;
On était moins ingambe et l’on jeûnait souvent.
Quand un parfum de chasse apporté par le vent
Le frappe, un éclair brille en sa vieille prunelle.
Il aperçoit, dormant et la tête sous l’aile,
Quelques jeunes poulets perchés sur un vieux mur.
Mais Renard est bien lourd et le chemin peu sûr,
Et malgré son envie, et sa faim, et son jeûne :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons… pour un plus jeune. »
*
Nous avons donc abordé différemment les alexandrins baroques et ceux du XIXe qui cherchent à tâtons un naturalisme de convention. La grande difficulté pour l’acteur est bien entendu de donner du sens au texte afin d’éviter une répétition rythmique incessante et ennuyeuse.
Au-delà des codifications prégnantes, dire le texte afin de lui faire dire ce qu’il dit et qui est écrit. Tout ce travail, afin de révéler le sens des propos et d’émouvoir un tant soit peu le spectateur…
Benoît Blampain, février 2025
Trombinoscope





Une histoire avec Voltaire
Quand j’étais ado, je n’avais pas dans ma chambre un poster d’une star du rock, ou d’une bimbo dénudée un mois de calendrier, ou une vrombissante moto ou une rutilante auto de compétition. J’avais un longiligne portrait en pied du Diable de Ferney, ce sacré Voltaire.
Lors d’un de mes premiers séjours à Ferney chez mes amis Dalhen-Giarini, au retour d’une balade, je leur glissai dans l’oreille que j’avais repéré ce qui pourrait peut-être devenir un jour un théâtre. C’était le Châtelard…
… qui avait déjà connu par le passé, bien avant ma découverte et bien avant les aménagements, quelques représentations théâtrales, dans la poussière de la terre battue, où quelques aficionados s’en donnèrent à cœur joie afin de réveiller la terre voltairienne au plaisir du théâtre que le Patriarche aimait plus que tout et pratiquait à l’envi…
Ce plaisir de côtoyer Voltaire à Ferney se concrétise maintenant en ces représentations à l’Orangerie du Château où toute l’équipe d’En-Jeu(x) est reçue avec une amabilité et une attention remarquables.
S’inscrire humblement dans l’humanisme ambiant par une démarche artistique et humaine pleine de sens !
Benoît Blampain, février 2025